Publié le 17 avr 2024 - Mis à jour le

9 mai 1944 : Monument aux résistants du bureau des Operations Aériennes de la France combattante

Dans la nuit du 9 au 10 mai 1944, des résistants du B.O.A. venus réceptionner un parachutage d’armes et de matériel sur le terrain « Fanfare » de Fresnes-en-Tardenois sont encerclés. Par petits groupes, certains parviennent à s’échapper et dix d’entre eux sont arrêtés et déportés, ce monument leur rend hommage. Voici leur histoire.

Qu’est-ce que le B.O.A. ?

Le Bureau des Opérations Aériennes (B.O.A.) de la France combattante voit le jour en avril 1943. La résistance française s’organise alors sur tout le territoire métropolitain et Jean Moulin, délégué civil et militaire du général de Gaulle, souhaite mettre en place en zone nord une structure similaire au Service des Opérations Aériennes et Maritimes (S.O.A.M.) qu’il a mis en place en zone sud. Créé par la Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A.), le B.O.A. est donc chargé de superviser l’acheminement et l’exfiltration des agents et du courrier, mais aussi de réceptionner les parachutages d’armes. Dès le printemps 1943, le B.O.A. peut fournir au B.C.R.A. près de 500 terrains de parachutage dans toute la France et est en mesure d’effectuer 100 à 200 opérations par mois. Au total près de deux mille terrains seront homologués par la RAF dans toute la France, permettant de recevoir des centaines de parachutages au profit de la résistance.

Le B.O.A. dans le sud de l’Aisne

Dès sa création, le B.O.A. s’organise en région dans la zone nord, et un responsable est désigné pour chaque zone, charge à lui d’organiser et de recruter des membres pour cette action clandestine très risquée, la détention d’armes étant alors interdite par les autorités d’occupation.

C’est Pierre Deshayes (1918-2011) qui est désigné pour diriger la Région A englobant la Seine-Inférieure, le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l’Aisne, sous le pseudonyme « Rod ». A la fin du mois d’août 1943, après avoir pris en main sa région et choisi des terrains de parachutages, il délègue le département de l’Aisne à Arnaud Bisson (1909-1944) mais continue de participer ponctuellement aux opérations. Dans le sud de l’Aisne, Bisson et Deshayes peuvent compter sur André Dodart (1910-2005), alias « Seigneur » pour recruter et diriger les équipes du B.O.A. et organiser la réception des agents et des parachutages clandestins.

Ce dernier, pragmatique, ira même jusqu’à adresser des consignes aux agriculteurs du sud de l’Aisne afin que les activités du B.O.A. ne soient pas entravées :

« FORCES FRANCAISES DE L’INTERIEUR

Pour des raisons d’ordre militaire, on nous donne l’ordre de vous inviter à ne pas déchaumer sur les plateaux qui ne sont pas encombrés de lignes électriques ou téléphoniques.

En exécution de cet avis vous avez toute liberté de déchaumer les champs situés dans les vallées ou sur les plateaux sur lesquels passent des lignes électriques ou téléphoniques. Tout autre plateau devra être laissé intact après que la moisson aura été rentrée.

Cet avis ne doit pas être divulgué, n’en parlez ni à vos amis, ni même aux cultivateurs voisins ou éloignés de votre domaine. Tout bavardage serait coupable et serait châtié.

Nous pensons que vous aurez à cœur de faire tout votre possible, voire l’impossible pour obéir à cet ordre émanant des autorités suprêmes, et remplir de cette manière vos devoirs de Français.

B.O.A.

Le chef de la Zone Sud

Nota : On vous a signalé les méfaits commis par des bandes armées dans les fermes et les villages de la région. Nous tenons à vous assurer que des bandes n’ont aucune attache avec les Forces Françaises de l’Intérieur dont le seul but est de libérer la France de l’envahisseur et non de terroriser les populations de notre pays. Un châtiment exemplaire attend ces bandits qui parfois osent se parer de nos titres pour menacer et pour piller. »

Le groupe de Fère-en-Tardenois

A Fère-en-Tardenois, un petit groupe se constitue à partir de la fin de l’année 1943 sous l’impulsion de Georges Thunière. A compter de février 1944, à pieds, à bicyclette, ce petit groupe d’hommes est mobilisé à de nombreuses reprises pour réceptionner clandestinement des parachutages d’armes sur les terrains de Beuvardes, Arcy-Sainte-Restitue, Fresnes. Des caches d’armes sont alors organisées, la répartition des armes auprès des groupes de résistants devant se faire dans un second temps. Parmi les hommes de ce groupe se trouve alors un jeune employé de banque, Paul Coeuret, qui se souviendra dans ses mémoires du premier parachutage auquel il assista à Arcy-Saint-Restitue, le 13 mars 1944, sur le terrain « Culotte » :

« Nous faisons connaissance avec « Seigneur », nom de guerre du capitaine Dodart qui dirige le secteur sud du département ; Thunière étant chef du réseau de Fère-en-Tardenois. Celui-ci nous donne comme consigne à Lechat et moi-même de monter la garde au hangar qui se trouve au nord de la route de Soissons à 800 mètres environ du lieu de parachutage. Nous nous postons donc là et faisons très attention à ne pas faire de bruit pour éviter d’attirer l’attention. Nous restons là pendant 2 heures à peu près, puis nous entendons des bruits d’avions. Nous ne bougeons pas, un avion passe assez bas. Sur le terrain de parachutage, les signaux à terre indiquent à l’avion qu’il est attendu. L’avion fait un petit tour, puis après repérage, repasse et cette fois le parachutage a lieu. Malgré l’obscurité, nous pouvons apercevoir les parachutes larguant les containers d’armes. Avec Lechat nous nous taisons mais notre cœur bat très fort et après un moment de silence, le père Lechat , ancien combattant de 1914-1918, me dit doucement « Cette fois, les boches n’ont plus qu’à bien se tenir ! » Une demi-heure plus tard, un nouvel avion se fait entendre et la même opération se reproduit avec le même cérémonial. Un quart d’heure après quelqu’un venait nous chercher pour aider au transport des containers et à notre tour, nous entrons vraiment dans cette Résistance qui nous tenait à cœur. Sur ce terrain de parachutage, nous retrouvons des têtes connues, comme Gébert, Dubois Pierre, son neveu, puis d’autres encore dont je ne me rappelle pas des noms. Nous sommes réunis là pour la même cause et nous ressentons une légitime satisfaction à travailler pour la Libération de notre pays. Toutes ces opérations se font dans le silence car il ne faut pas alerter les Allemands qui ont sûrement entendu le passage des avions à basse altitude. Les containers largués par les avions sont tombés quelquefois plus loin qu’il ne faudrait, même dans les arbres (pas très souvent) mais il faut quand même les y retirer ce qui n’est pas toujours chose facile, surtout que c’est assez lourd à transporter. Toutes ces opérations ont pris du temps car les containers ont été mis en lieu sûr dans un trou, au milieu d’un bois, dans lequel il faut descendre par une échelle de corde ce qui occasionne quand même quelques problèmes de manipulation. En conclusion de tout cela, il est 4 heures ½ du matin et avant de se séparer, des recommandations nous sont faites par le responsable (Dodart) : surtout des consignes de silence à tous points de vue. Il nous faut regagner nos habitations, par groupes de 5 ou 6, nous repartons à vélo. Ce premier parachutage se passe sans anicroche et nous rentrons chez nous un peu fourbus mais très contents quand même. »

Ces opérations de récupération de parachutages ne feront dès lors que se succéder, et les terrains « Culotte », « Guignol », « Empire », « Fanfare » ou « Fenelon » recevront ainsi plusieurs parachutages d’armes et de matériel durant tout le printemps 1944 sous la direction d’André Dodart, dit « Seigneur ».

L’opération TOM 55 sur le terrain « Fanfare »

Mais ces nombreux parachutages dans la région avaient aussi alerté les troupes d’occupation allemandes qui renforçaient chaque jour leur étau. Le 9 mai 1944, dans les messages quotidiens de la BBC, ces résistants entendent pourtant : « La bière est trop douce ». Si le message de 11h et celui de 17h mettent en alerte le groupe, ce n’est qu’à 21h, lors de la dernière diffusion, que la confirmation tombe : un parachutage par deux appareils de la R.A.F. va avoir lieu sur le terrain « Fanfare » près de Fresnes-en-Tardenois. Rapidement, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois se préparent et gagnent le terrain malgré les risques et la présence accrue des troupes allemandes dans la région, André Dodart ayant décidé de tenter de récupérer ce dernier parachutage afin d’armer les résistants de la région.

A la nuit tombée, sur le terrain « Fanfare » de Fresnes-en-Tardenois, ce sont bientôt 35 résistants qui affluent pour prendre leurs ordres auprès d’André Dodart. Toutefois la tension grandit quand deux coups de feu sont entendus depuis le terrain. Deux résistants, Jean Dumont et Léon Coigne, postés en surveillance aux abords du terrain, viennent de rencontrer une patrouille allemande, et des renforts vont donc bientôt arriver. L’heure est grave et une décision doit être prise : les responsables donnent l’ordre de maintenir la réception du parachutage et organisent la défense du terrain pour repousser les troupes allemandes dans le cas où celles-ci feraient irruption.

A 23h15, un premier avion est signalé et les premiers containers sont réceptionnés, mais les doutes des résistants sur l’arrivée prochaine des troupes allemandes se confirment malheureusement, et le témoignage de Paul Coeuret est là encore très intéressant pour comprendre la tension qui règne alors sur le terrain « Fanfare » et ses abords :

« Soudain, dans la nuit, nous entendons des bruits de moteurs, cela devient inquiétant. Tout de suite, nous pensons que ce sont les Allemands qui arrivent. Au bout de 10 minutes Lechat me dit « Il faut prévenir les autres qui sont sur le terrain », je lui réponds « Vas-y, je reste là en t’attendant ». Un quart d’heure après Deshayes et Seigneur viennent me retrouver et constatent comme nous tous ces bruits de moteurs. D’autre part la nuit est très claire et il est sûr et certain que les Allemands sont en train de débarquer des troupes. Il y a encore un avion à venir et il faut le réceptionner. Ce sont les ordres. Nous sommes relevés de la garde et une autre équipe arrive pour nous remplacer. Cette fois, nous sommes prévenus et une sourde inquiétude nous gagne, mais il faut obéir et vers 1 heure du matin le deuxième avion lâche ses containers et disparaît dans la nuit. »

Sous la menace constante d’un assaut des troupes allemandes, les containers sont transportés à la hâte par les résistants qui les placent dans une fosse creusée dans la forêt afin de les dissimuler en attendant leur transport. Cette tâche terminée, le plus dur reste à faire : tenter de rentrer au milieu de la nuit en passant entre les mailles du filet.

La fuite et l’arrestation

Il est presque 4h30 quand les résistants, déjà éreintés par le transport puis la dissimulation des containers, sont rassemblés par leurs chefs pour recevoir leurs consignes : fuir à travers les bois et les pâtures, éviter le plus possible les chemins et les routes où l’on peut croiser les patrouilles allemandes, et gagner par petits groupes Beuvardes, Fresnes, Fère-en-Tardenois et Villers-sur-Fère dans le plus grand silence. L’un de ces groupes comprend Georges Thunière, René Deneuville, Arsène Lechat , Pierre Jacquet, Louis Deslandes et Paul Coeuret. Après avoir traversé plusieurs pâtures, ils arrivent à Villers-sur-Fère et décident d’enfourcher leurs vélos pour reprendre la route de Fère-en-Tardenois, Georges Thunière étant convaincu que la route est désormais sûre. Cependant, après être passés devant la mairie, Pierre Jacquet et Georges Thunière, à l’avant du groupe, sont pris à partie puis arrêtés par des sentinelles allemandes : un barrage a été installé sur la route de Fère-en-Tardenois. Alertés, les autres résistants du groupe tentent de fuir sur la route de Dormans mais sont pourchassés par les soldats allemands qui finissent par tous les arrêter. Alignés sur le bord de la route les mains en l’air pendant deux heures, ils sont fouillés et brièvement interrogés. Un seul homme sera témoin de leur malheur, Maurice Chirieux, qui se rend alors de la ferme de Favières en direction de Fère-en-Tardenois, et qui avertira les familles des résistants arrêtés. Vers 7 heures du matin, ils sont conduits à pied jusque Fresnes-en-Tardenois jusqu’au terrain de parachutage découvert par les Allemands, où ils sont contraints, sous les brimades des soldats allemands, de sortir les containers de la fosse et les charger dans la camionnette abandonnée par André Dodart. Une fois celle-ci partie, ils prennent la route du Charmel où ils subissent encore de nombreuses menaces d’exécutions sommaires avant d’être embarqués à bord de la camionnette une fois celle-ci revenue.

Les interrogatoires et la détention

Emmenés à Château-Thierry, les résistants arrêtés sont isolés les uns des autres, interrogés puis conduits à la prison de la ville. Après une nuit difficile, ils sont ramenés le 10 mai 1944 dans les bureaux de la Gestapo de Château-Thierry où Georges Thunière et Pierre Jacquet sont les seuls à être torturés avant que tous les détenus soient ramenés en prison. De nouveau amenés dans les bureaux de la Gestapo deux jours plus tard, ils découvrent que d’autres membres du groupe, Albert Bayard, Robert Dubois et Paul Vincent, ont aussi été arrêtés, de même que Pierre Plaie qu’ils ne connaissent pas (un réfractaire au STO caché chez Paul Vincent). Tous sont alors conduits à Reims, puis à la prison de Saint-Quentin où, après quinze jours de détention, ils sont conduits au camp de Royallieu, à Compiègne. Dans ce camp, véritable relai du système concentrationnaire allemand en France, ils passent deux jours dans le camp annexe avant de rejoindre les trois à quatre mille détenus du camp principal où ils recouvrent la possibilité de manger de manière plus régulière, se laver, dormir (avec les puces), marcher ou encore discuter entre camarades. Pendant quelques jours, leur vie est rythmée par les rassemblements quotidiens jusqu’au 3 juin où les listes du prochain convoi tombent : 2 400 détenus partiront le lendemain pour l’Allemagne.

Survivre en déportation

Le jour n’est pas levé sur le 4 juin quand les hommes sont appelés à se mettre en rang au camp de Royallieu. A 5 heures du matin, après avoir touché une boule de pain, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois quittent Compiègne à pied pour la gare, où ils sont enfermés par groupes de 110 hommes dans des wagons à bestiaux. Parmi eux, Paul Coeuret, dont les mémoires constituent la seule source sur le parcours de ces hommes, se souviendra de ces moments :

« Le convoi s’ébranle alors lentement. Au début, les camarades ne disent pas grand-chose. Il est convenu que pendant qu’une partie du wagon serait debout, l’autre partie serait assise. Il faut que je précise une chose : les volets d’aération de chaque wagon ont été grillagés ! L’air ne passe donc que très peu, et au bout d’une heure, cela devient irrespirable. Dans les premières heures, les gars ne sont pas trop rouspéteurs mais six heures après les plaintes commencent à se faire entendre. Certains pleurent puis se mettent à crier ; il est très difficile de les calmer. Au bout d’un certain temps, une voix s’élève et demande à tous d’être patients. Nous sommes tous dans la même situation et cette personne explique qu’il faut se calmer car si nous continuons ainsi, cela pourrait mal se terminer. J’ajoute aussi, que pour les 110 hommes du wagon, il a été mis une seule tinette pour les besoins naturels. Au bout de quelques heures, ce récipient est plein et l’atmosphère devient encore plus difficile. De temps à autre, nous essayons de voir où nous sommes, en traversant les gares et nous arrivons à nous apercevoir que nous prenons la grande ceinture de Paris. Une autre précision, à chaque extrémité des wagons, une sentinelle allemande armée est placée ceci pour déjouer les évasions qui pourraient être tentées. La première nuit va être très longue à passer et plusieurs incidents se produisent entre prisonniers. Il faut que chacun soit lucide et conscient de la situation, mais c’est très difficile à faire accepter par certains, surtout que la soif commence à se faire sentir. Dans notre groupe, le jeune Pierre Plaie commence à être très nerveux. Bayard essaye de le raisonner mais c’est une tâche bien difficile, et le voyage sera pour lui très pénible. »

Après trois jours et demi et trois nuits, les portes des wagons s’ouvrent enfin sur leur funeste destination : Neuengamme, où des S.S. et des chiens de berger les attendent déjà et les font descendre par la force des wagons. On leur attribue ensuite des numéros de matricule, ne faisant plus d’eux que des numéros soumis à une routine quotidienne éreintante, que Paul Coeuret décrira également :

« Lever à 5 heures, un passage au lavabo où nous n’avons ni serviette ni savon, simplement un coup d’eau sur la figure pour nous réveiller. Un peu d’eau noire ressemblant à un ersatz de café que l’on boit en vitesse puis à nouveau rassemblement devant le block. Nouvelle attente, et des kapos (sorte de contremaîtres) nous désignent pour effectuer des corvées. Il est 6 heures du matin et jusqu’à midi il va falloir porter des briques dans nos mains. Il y a une construction en route et la main d’œuvre que nous représentons ne coûte pas cher. C’est très fatiguant car il y a 800 mètres à parcourir à chaque fois et il ne faut pas traîner en route car la schlague est un instrument de persuasion très efficace. A midi, une tranche de pain bis avec un morceau de margarine et repos pendant ½ heure. Puis reprise de la corvée jusqu’à 5 heures ½ du soir. Rassemblement à nouveau et nouvel appel pendant 2 heures. C’est vraiment le « marche ou crève » mais c’est la loi du camp. »

Dans leur malheur, les résistants du groupe de Fère-en-Tardenois ont cependant la chance de pouvoir se soutenir dans un premier temps, et même quand des kommandos de travail sont constitués, tout est fait pour rester ensemble, à l’image de Paul Coeuret qui décide de passer par la fenêtre de sa baraque pour rejoindre son groupe affecté au kommando d’Hannover-Stocken le 29 juin 1944. Cependant tous ne parviendront pas à rester ensemble et le groupe sera dispersé dans plusieurs commandos. Paul Coeuret , affecté à l’usine Accumulatoren-Fabrik AG qui fabrique des accumulateurs pour sous-marins, décrira dans ses mémoires la vie dans ce nouveau camp de 1 800 déportés où la fatigue, la maladie et les brimades cohabitent avec les morts presque quotidiennes des hommes. Parmi les membres du groupe de Fère-en-Tardenois encore à ses côtés, Robert Dubois sera le premier à tomber, atteint de dysenterie, le 19 mars 1945. Paul Coeuret , Georges Thunière et Paul Vincent resteront ensemble au kommando Hannover-Stocken jusqu’au 7 avril 1945, date à laquelle le camp sera évacué par suite de l’avance alliée en Allemagne. Pour ces hommes, les marches de la mort allaient commencer, et allaient emporter Georges Thunière, qui tombe d’épuisement le 8 avril 1945 sur le chemin du camp de Bergen-Belsen. Là, une bien funèbre corvée les attend, ainsi que le rapporte Paul Coeuret :

« Nous n’avons pas mangé depuis 2 jours et on nous dit que ceux qui auront été en corvée seront nourris. Mais quelle corvée ! C’est là que nous atteignons le supplice qui va être le nôtre pendant une semaine. Il nous faut aller chercher dans les blocks des milliers de cadavres qui y sont entassés. De suite, nous apprenons que le typhus règne en maître dans ce camp, c’est la raison de toutes ces victimes que nous allons traîner avec des ficelles et emmener jusqu’à des fosses immenses qui sont à 700 ou 800 mètres de là ! C’est vraiment le comble de l’horreur et nous sommes catastrophés de voir tous ces cadavres décharnés. Je peux dire que pour moi, malgré tous les ennuis que j’ai eus avant, c’est la chose la plus affreuse que j’ai connue !!! A midi, on nous donne enfin du pain et une sorte d’eau tiède, cela nous réconforte un peu. »

Survivre, ce seul mot résume le seul et unique but à atteindre en ce printemps 1945 à Bergen-Belsen pour les derniers survivants du groupe de Fère-en-Tardenois. Le 13 avril, c’est au tour de Paul Vincent de succomber sous les yeux de Paul Coeuret , qui sera le seul à voir la libération du kommando de Hannover-Stocken par les troupes britanniques le 15 avril 1944.

Le retour de déportation et le deuil des absents

Le 2 juin à 6 heures, Paul Coeuret est conduit à l’aérodrome de Celles où il prend un avion pour Le Bourget où il arrive à 18h. Pesant à peine plus de 35 kg, il est pris en charge et transporté à l’hôtel Lutetia à Paris, il se rétablira peu à peu et pourra retrouver sa famille, mais aussi apprendre au fil des mois que peu des membres du groupe de Fère-en-Tardenois avaient survécu à la déportation :

  • Pierre Plaie (1921-1944) avait été le premier à succomber le 12 juillet 1944 au camp de Neuengamme, à l’âge de 22 ans.
  • Pierre Jacquet (1917-1945) était quant à lui décédé le 1er mars 1945 au camp de Neuengamme à l’âge de 27 ans.
  • Robert Dubois (1919-1945), nous l’avons vu, décédera au camp de Neuengamme le 19 mars 1945 à l’âge de 25 ans.
  • Georges Thunière (1903-1945) avait quant à lui succombé aux marches de la mort le 8 avril 1945 à l’âge de 42 ans.
  • Paul Vincent (1908-1945) était mort d’épuisement au milieu des corps touchés par le typhus à Bergen-Belsen le 13 avril 1945 à l’âge de 36 ans.
  • René Deneuville(1914-1945) avait quant à lui été envoyé en kommando à Wattenstedt il travaillait aux usines Hermann Goering mais transféré sur Ravensbrück, il était décédé à l’infirmerie le 29 avril 1945, à l’âge de 31 ans.
  • Louis Deslandes (1911-1945), avait survécu au camp de Neuengamme, mais embarqué à bord du « Cap Arcona », il succombera parmi les 7000 déportés dans le naufrage du navire bombardé en baie de Lübeck par la R.A.F. le 3 mai 1945, à l’âge de 34 ans.

Seuls rescapés du groupe, Paul Coeuret, Albert Bayard et Arsène Lechat seront quant à eux marqués à vie par leur expérience des camps.

La mémoire des résistants du B.O.A. du groupe de Fère-en-Tardenois

Soucieux de faire perdurer la mémoire de leurs camarades disparus dans les camps de concentration nazis et rappeler l’action des résistants de leur groupe, les anciens membres du B.O.A. et les rescapés lancèrent une souscription publique pour ériger un monument sur les lieux où ils furent arrêtés, à Villers-sur-Fère. Le 20 octobre 1946, ce monument est inauguré en leur honneur et en l’honneur de tous les résistants du B.O.A. qui ont participé aux opérations de récupération d’armes et de munitions pour la Libération de la France. Chaque année, le dernier dimanche d’avril, jour du souvenir de la déportation, une grande cérémonie de recueillement permet, en présence des autorités civiles et politiques, des associations d’anciens combattants et des descendants de résistants, d’honorer leur mémoire. Le 28 avril 2024, à l’occasion de cette cérémonie annuelle, une borne du réseau Aisne Terre de Mémoire mis en place par le Département de l’Aisne a été inaugurée afin de valoriser ce monument, son histoire et celle des hommes qu’il honore.