Publié le 15 juin 2022 - Mis à jour le

Le 1er parachutage de l'Aisne, 27 mai 1942

Le 27 mai 1942, alors que l’Europe continentale vit sous la botte allemande depuis près de deux ans, trois agents des services secrets de la France Libre et du matériel sont parachutés à proximité du hameau de Régnicourt, sur la route entre Andigny-les-Fermes et Bohain-en-Vermandois.

Monument au 1er parachutage de l’Aisne à Andigny-les-Fermes. ©CD02

En 1942, la Résistance française s’organise tant bien que mal depuis bientôt deux ans, et la France Libre du général de Gaulle multiplie les tentatives pour créer des liens avec les réseaux de résistance existants et tenter de coordonner leur action depuis Londres. Les services secrets de la France Libre, qui portent alors le nom de « Bureau Central de Renseignement et d’Action Militaire » (BCRAM), sont dirigés par le colonel André Dewavrin, dit « Passy ». Désireux de renforcer les liaisons entre la France libre et la résistance communiste, il décide d’envoyer une mission en France avec à sa tête le capitaine René-Georges Weil.

La mission « Mec-Goldfish »

René-Georges Weil

 

 

Âgé de 34 ans, avocat dans le civil, René-George Weil a rejoint l’Angleterre en août 1940 et a rapidement contribué à mettre sur pied la 1ère compagnie d’infanterie de l’air de la France libre. Volontaire pour partir en mission malgré des blessures encore récentes lors d’un entraînement et les réticences de son supérieur, c’est sous le pseudonyme de « Mec » qu’il se prépare à partir, accompagné de son opérateur radio André Montaut, alias « Mec-W ». Ce dernier s’est engagé dès juin 1940.

 

 

 

 

 

 

Jacques Courtaud

 

Outre l’envoi d’une mission de liaison auprès de la résistance communiste, ce parachutage prévoit également l’envoi de plusieurs appareils radio émetteurs/récepteurs destinés au réseau Confrérie-Notre-Dame dirigé par Gilbert Renault, plus connu désormais sous le pseudonyme de « Colonel Rémy ». Parachuté dès l’été 1940 par les services secrets de la France libre, celui-ci a constitué un vaste réseau de renseignements en France occupée et a besoin de postes radio et d’opérateurs pour transmettre avec Londres, c’est pourquoi un troisième agent, Jacques Courtaud, fait également partie de la mission. Âgé de 37 ans et ancien opérateur radio de la compagnie Air France en Amérique du Sud, ce dernier s’est engagé en janvier 1942.

 

 

Le terrain choisi pour l’organisation de ce parachutage est une pâture à la lisière d’un bois, au lieu-dit « Les Hayettes », à quelques centaines de mètres à l’ouest du hameau de Régnicourt, sur la commune de Vaux-Andigny. Le choix de ce terrain, baptisé « Roland-Garros », ne doit rien au hasard cependant, puisqu’il a été repéré par Robert Delattre, alias « Bob », chargé des parachutages du réseau Confrérie-Notre-Dame, qui a des parents non-loin de là.
 

« Roland Garros remercie bien Evelyne »

Bombardier Whitley lors d’un exer-
cice de parachutage le 21 mai 1941.
© IWM

 

La mission « Mec-Goldfish » du BCRAM autorisée par les Britanniques, ces derniers attribuent un appareil Armstrong Whitworth Whitley du Squadron No. 161 de la Royal Air Force, escadrille spécialisée dans les parachutages d’hommes et de matériel en territoire occupé, afin qu’elle puisse être parachutée. Afin d’annoncer la date et la venue de la mission, le BCRAM et son réseau Confrérie-Notre-Dame se sont accordés sur un message qui doit être transmis par la BBC depuis Londres : « Roland Garros remercie bien Evelyne ». Aussi quand ce message résonne sur les ondes, Robert Delattre sait qu’il lui faudra préparer le terrain pour réceptionner le parachutage.

 

 

 


Dans la soirée du 27 mai 1942, vers 22h, le bimoteur Armstrong Whitworth Whitley n°Z6653 piloté par le Flight Sergeant (F/Sgt) Peterson décolle de la piste de la base aérienne de Tangmere, dans le sud-est de l’Angleterre. A son bord, l’équipage du bombardier se compose du F/Sgt Land (copilote), du Sgt Cruwys (navigateur), du Sgt Lyver (opérateur radio), du Sgt Clayton (mitrailleur arrière) et du Sgt Wainwright (dispatcheur), ce dernier étant spécifiquement chargé de superviser le largage du matériel puis le saut de René-Georges Weil, André Montaut et Jacques Courtaud à l’approche de la zone de parachutage.

Au hameau de Régnicourt, Robert Delattre et son équipe ont finalement décidé de baliser la zone de parachutage 1000 m plus au sud, la proximité avec la route de Bohain-en-Vermandois à Wassigny faisant craindre le passage de véhicules allemands. Quand les moteurs du bombardier Whitley se font entendre, alors que seule la pleine lune éclaire désormais le terrain, les résistants déclenchent leurs signaux lumineux indiquant la zone de parachutage et le sens du vent, et quelques instants plus tard, les parachutes s’ouvrent dans la nuit, les agents de la France libre et les containers de matériel tombant lentement vers le sol.

Carte de localisation du terrain de parachutage « Roland Garros »
Carte de localisation du terrain de parachutage « Roland Garros »

 

Tandis que le bimoteur s’éloigne de la zone de parachutage et regagne sa base à 3h48, les résistants accueillent les trois agents parachutés et se hâtent de cacher les deux paquets et le container envoyés contenant une douzaine d’émetteurs/récepteurs dans les haies bordant le terrain, avant de se disperser pour rejoindre la gare de Busigny où ils doivent prendre le train pour Paris.

La tragique fin de la mission « Mec-Goldfish »

Arrivé en Gare du Nord, Robert Delattre est interpellé par un agent du contrôle économique à cause d’une valise neuve contenant des cigarettes et des pyjamas neufs que Pierre Brossolette avait demandé qu’on lui envoie. Il réussit à s’échapper mais la police trouve néanmoins dans ses papiers son carnet de rendez-vous avec le lieu et l’heure du rendez-vous de secours.

Le lendemain, à 19h, porte d’Auteuil, Robert Delattre et René-Georges Weil sont donc attendus et arrêtés. Delattre tente bien de s’échapper mais est blessé au bras tandis que Weil, qui détient de nombreuses informations, préfère mettre fin à ses jours en ingérant sa capsule de cyanure. Quant à l’opérateur-radio André Montaut, il semblerait que, sans contacts à Paris après l’arrestation de son chef, il préféra se réfugier dans sa famille à Pau. Le 4 mars 1943, à Lyon, il rencontre Daniel Cordier qu’il avait côtoyé en 1940 en Angleterre et sert un temps à ses côtés, avant d’être à son tour arrêté le 21 juillet 1943 à Lyon. Déporté, il décède le 2 juin 1944 au camp de concentration de Mauthausen (Allemagne).

Jacques Courtaud sera en définitive le seul survivant de cette mission, mais son parcours au sein de la résistance sera lui aussi difficile. Suite à une vague d’arrestations, il se retrouve le seul opérateur radio de la Confrérie-Notre-Dame durant l’été 1942 et doit passer le reste de l’année à réorganiser le service radio aux côtés du colonel Rémy. Arrêté le 28 juin 1943 par la Gestapo, il est interné à Fresnes puis déporté à Buchenwald, Dora-Ellrich et Bergen-Belsen, et ne sera rapatrié que le 5 juin 1945 en France.

Conclusion

La mission « Mec-Goldfish », bien que méconnue, ses membres ayant eu un tragique destin, constitue la première opération de parachutage au profit de la Résistance ayant eu lieu dans le département de l’Aisne. Soucieux de faire perdurer la mémoire de ce fait important dans l’histoire de la Résistance axonaise, l’association des Combattants Volontaires de la Résistance (C.V.R.) se mobilise pour qu’un monument soit érigé à Andigny-les-Fermes dans les années 1960. Sous l’impulsion de M. Devailly, secrétaire des C.V.R de Saint-Quentin, et de M. Varlet, maire de Vaux-Andigny, il est inauguré le 15 octobre 1967 et rappelle encore aujourd’hui ce fait majeur de la Résistance française dans l’Aisne.

Combattants Volontaires de la Résistance rassemblés près du monument le 27 septembre 1981. © Collections du Musée de la Résistance et de la Déportation en Picardie
Combattants Volontaires de la Résistance rassemblés près du monument le 27 septembre 1981. © Collections du Musée de la Résistance et de la Déportation en Picardie


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