« Dès 2014, alors que s’engageait le cycle des commémorations du Centenaire, nous avons commencé à réfléchir à cette exposition car cette phase de reconstruction a vraiment été déterminante pour le département de l’Aisne. » Directeur des Archives départementales de l’Aisne, Michel Sarter précise que la conception de l’exposition a été réalisée par ses services en partenariat étroit avec ceux de la Conservation des Musées dont dépendent la Caverne du Dragon et le Pôle archéologique, ainsi qu’avec l’équipe de la Bibliothèque départementale.
Depuis novembre, les trois entités se partagent le même bâtiment, un complexe flambant neuf doté d’un espace de 150 m2 spécialement dédié aux expositions. « C’est la première qui est montée ici et nous avons travaillé avec les scénographes de la société Point de fuite qui ont fait un très beau travail de mise en espace. » Le musée de Vassogne (Centre historique du monde du travail) a également prêté quelques belles pièces prélevées dans ses riches collections d’outils et d’objets du quotidien.
Planter le décor
Pour bien saisir tous les enjeux de la reconstruction sur un territoire laminé par quatre années de guerre, l’exposition prend soin de replacer les choses dans leur contexte : fin 1918 l’Aisne est ravagé à 90%, la population a fui massivement, des cités comme Soissons, Chauny ou Saint-Quentin ne sont plus que des villes fantômes offrant un décor de désolation, la mort est omniprésente, les cadavres font partie du décor. Les derniers mois de la guerre ont été les plus terribles. La reprise du territoire par les alliés s’est faite pas à pas occasionnant un déluge d’artillerie qui dépasse l’entendement : de juillet à novembre 1918 on a tiré plus d’obus que pendant les quatre années de guerre écoulées ! De retour sur ses terres, un agriculteur soissonnais comptait jusqu’à 2 000 trous d’obus sur un hectare de champ.
L’Aisne comptait 530 000 habitants en 1914, 100 000 manquent à l’appel à la signature de l’Armistice et il faudra près de 60 ans pour que le département retrouve son niveau démographique d’avant-guerre.
Revenir
Le retour des civils se fait d’abord de façon désordonnée. Se sentant déracinés sur les territoires qui les ont accueillis, certains veulent rentrer au plus vite alors que rien n’est prêt pour se réinstaller. Pire, sur place l’armée française est en plein désobusage et tire ses moyens de subsistance des ruines où elle évolue. Il faut que certains députés se saisissent du problème pour qu’une politique du retour soit adoptée et que l’armée se mette au service des civils qui rentrent chez eux. Ce n’est qu’à partir de 1920 que les premiers dossiers de « dommages de guerre » commencent à se constituer.
Reconstruire, repeupler et nourrir
Pour pallier le manque de main d’œuvre, on mobilise les « supplétifs », notamment les travailleurs chinois et indochinois. On assiste également à un afflux massif de travailleurs étrangers, italiens, portugais et surtout polonais car un accord est conclu avec la Pologne pour repeupler le territoire. Parallèlement, des investisseurs flamands achètent des terres pour les structurer en grands domaines agricoles sur le secteur du Chemin des Dames et de Guignicourt. Entre les deux guerres, l’Aisne est le territoire français qui connaît le plus fort taux d’immigration.
Autre problème : tués par millions, les animaux ont disparu et il faut reconstituer les cheptels. Impossible de chasser car la faune sauvage a fui le territoire, elle reviendra naturellement de façon progressive là où la nature reprend ses droits, mais il faudra du temps. L’Allemagne doit fournir des chevaux, mais l’empire vaincu est exsangue et on l’accuse de nous fournir de vieilles carnes. On incite aussi à l’élevage de poules et de lapins pour qu’un peu de viande revienne dans les assiettes.
Financer la reconstruction
L’aide financière va emprunter bien des circuits. Elle vient des USA où de riches philanthropes mobilisent leurs réseaux. La ville de Fargniers bénéficie ainsi de la donation Carnegie tandis que la riche héritière Anne Morgan poursuit son œuvre humanitaire commencée pendant le conflit dans la région soissonnaise. Un système de parrainage de ville à ville voit aussi le jour, avec en première ligne des donateurs la ville de Lyon à l’initiative de ce principe de jumelage solidaire. Il se déploie jusque dans l’empire colonial où les villes de Hanoï ou Saigon se mobilisent également.
Contrairement à certaines idées reçues, les dommages de guerre ne sont pas financés par l’Allemagne vaincue mais bel et bien par la solidarité entre Français.
Quatre grands emprunts nationaux avaient déjà été lancés pour financer l’effort de guerre, le cinquième destiné à la reconstruction sera le plus massif, l’effort de financement va jusque dans les écoles où se constituent de petites cagnottes.
Nouveaux horizons
Pour un territoire comme l’Aisne, la période de la reconstruction qui va s’étendre jusque dans les années 30 est un moment d’une rare intensité. Il ne s’agit plus de survivre mais de revivre et le département n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition. Si l’habitat est souvent reconstruit à l’identique, l’Art déco s’impose par contre sur les commerces, un nouvel urbanisme d’inspiration américaine voit le jour dans les centres-villes et une forme de modernité sociale s’affirme un peu partout.
Dès 1919, se développent également les premières formes d’un tourisme de mémoire. Nombreux sont ceux qui veulent retrouver la tombe d’un proche disparu, d’autres veulent voir les ruines ou descendre dans la Caverne du Dragon qui se visite déjà à la lampe torche. Entre 1920 et 1923, le circuit Paris - Soissons - Coucy-le-Château - Chemin des Dames attire de très nombreux visiteurs.
INFORMATIONS PRATIQUES
" REVIVRE ! 1918, l’Aisne se reconstruit "
L'exposition est prolongée jusqu'au 11 NOVEMBRE 2019.
HORAIRES
Entrée libre du lundi au vendredi, de 9h à 12h et de 14h à 17h.
Centre des Archives et Bibliothèque départementales de l'Aisne
Parc Foch
Avenue du Maréchal Foch
02000 Laon
Accès gratuit