• Terre de mémoire

Publié le 06 mars 2024 - Mis à jour le

L'artiste Haïm Kern nous a quittés

C’est avec une très grande émotion et une profonde tristesse que nous apprenons la disparition de Haïm Kern. Immense artiste, il nous faisait l’honneur d’avoir choisi le département de l’Aisne comme sa seconde maison depuis 1998 et l’installation de l’œuvre "Ils n’ont pas choisi leur sépulture" à Craonne sur le Chemin des Dames. L’artiste de la mémoire vient de s’éteindre à l’âge de 93 ans.

Haïm Kern devant sa sculpture au Chemin des Dames©Denis Defente

Né en 1930 à Leipzig en Allemagne, Haïm Kern se réfugie en France avec sa famille en 1933 pour échapper aux persécutions antisémites des nazis.

Établie dans le Valenciennois, la famille doit fuir l’avancée des troupes allemandes en 1940 avant d’être arrêtée et internée au camp de Sept-Saulx, appelé le camp de Judes dans le Tarn. Les conditions de vie sont très difficiles, à l'instar de nombreux camps de réfugiés pour étrangers indésirables ou apatrides. Une vie sociale, culturelle et politique naît cependant à l'intérieur du camp. Haïm Kern demeurait l’un des derniers témoins de la vie artistique de ce camp. A l’été 1942, les juifs du camp sont déportés pour Auschwitz, via Drancy, de la gare de Caussade, où Haïm Kern est confié à une famille qui parvient à cacher l’enfant.

Caché pendant le reste de la guerre dans plusieurs familles françaises sous un faux nom, il apprendra après la guerre l’assassinat de sa mère au camp d’Auschwitz-Birkenau, dont il chérira le souvenir toute sa vie. Symbole de ce destin tragique, il réalise sa toute première sculpture avec la glaise ramassée derrière les chenilles d’un char allemand en retraite en 1944.

Haïm Kern enfant

Après avoir fréquenté plusieurs centres de formation parisiens à partir de 1954 dont l’Ecole nationale des Beaux-arts de Paris et l’Académie de la Chaumière, Haïm Kern travaille dans l’atelier de Georges Visat (1910-2001), imprimeur et éditeur d’artistes célèbres, tels que Max Ernst (1891-1975), Hans Bellmer (1902-1975) et Roberto Matta (1911-2002). En 1971, il obtient une bourse de l’Etat genevois, qui lui permet de travailler au Centre genevois de gravure contemporaine que dirige alors Daniel Divorne. L’artiste réalise dés lors des collages, peintures et estampes, qui sont présentés dans de nombreuses expositions, en France et à l’étranger.  Il sera également en résidence dans un atelier de verrier alsacien lui permettant d’expérimenter l’art du verre.

Statue de François Mauriac à Paris

Par ailleurs, de nombreuses collections à travers le monde conservent les sculptures de Haïm Kern, offertes par le président de la République François Mitterrand (21 mai 1981-17 mai 1995) dans le cadre des échanges diplomatiques de la France, dont l’œuvre Liberté, Egalité, Fraternité offerte à Nelson Mandela.

L’auteur de “Ils n’ont pas choisi leur sépulture“

Monument Haïm Kern au Chemin des Dames

Pour le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, cinq artistes plasticiens ont été sollicités pour créer une œuvre destinée à commémorer cet anniversaire et à attirer l’attention sur les combattants disparus sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Haïm Kern propose une sculpture monumentale à l’orée du Chemin des Dames sur le pla­teau de Californie, en surplomb du village de Craonne. Son œuvre, intitulée Ils n’ont pas choisi leur sépulture est un bronze de 4 mètres de hauteur, représentant des têtes d’anonymes prises dans un maillage.

Le Département de l’Aisne a participé au financement de l’œuvre et son installation sur le site du Plateau de Californie. L’œuvre originale a été inaugurée le 5 novembre 1998 en présence du Premier ministre, Lionel Jospin, de la ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Trautmann et du secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, Jean-Pierre Masseret.

Associée au discours de Lionel Jospin dans lequel le Premier ministre se prononçait en faveur « d’une réintégration dans la mémoire collective nationale » des soldats « fusillés pour l’exemple », l’œuvre fut une première fois vandalisée puis restaurée en 1999. Cette œuvre devenue iconique de la mémoire du Chemin des Dames fut une nouvelle fois vandalisée et mise à terre en 2006. Restaurée une nouvelle fois, l’œuvre fut volée dans la nuit du 11 au 12 août 2014.

Attaché au Département de l’Aisne depuis l’installation de son œuvre sur le Chemin des Dames, où il revenait régulièrement entretenant de nombreuses amitiés, l’artiste avait choisi de léguer son fonds d’atelier au Département de l’Aisne en 2010. Dans la donation de son fonds d’atelier, la production de Haïm Kern est représentée par 323 sculptures, 214 peintures et dessins, 151 estampes, 127 modèles en cire, 33 verres thermoformés, 12 installations et 10 résines de synthèse, complétée par plusieurs acquisitions. Ce fonds a été présenté dans plusieurs expositions, notamment dans celle intitulée « Du plateau de Californie à la Caverne du Dragon » à la Caverne du Dragon en 2012. La sculpture monumentale intitulée Liberté, provenant de la donation de l’artiste, installée dans la cour de la préfecture de l’Aisne depuis 2018, rappelle l’attachement profond de l’artiste pour les valeurs républicaines.

Inauguration de “Liberté“ oeuvre de Haïm Kern

La dernière exposition de l’artiste « D’hier à deux mains » fut présentée à Laon, à la Maison des Arts et Loisirs, d’octobre à décembre 2023, dans une sorte de rétrospective et de dialogue avec son amie et artiste Maÿlis Seydoux-Dumas. Un exemplaire de sa sculpture en bronze Liberté, Egalité, Fraternité sera présentée quant à elle dans le parcours permanent de la nouvelle Cité muséale qui doit ouvrir ses portes en 2024 à Château-Chinon dans la Nièvre.